Pourriez-vous nous présenter le service d’hygiène hospitalière du CHU de Besançon ?
Pr Xavier Bertrand : Celui-ci est assez important, puisqu’il compte une trentaine d’équivalents temps plein (ETP) répartis entre cinq unités fonctionnelles : l'équipe opérationnelle d'hygiène (EOH), qui intervient au quotidien pour la gestion du risque infectieux au sein de l’établissement ; le laboratoire d’analyses, qui pratique notamment les contrôles relatifs à l'environnement et aux bactéries multi-résistantes ; le laboratoire des eaux, spécialisé dans les analyses hydriques, principalement sur le risque de légionelles, mais aussi la potabilité ; le CPias Bourgogne Franche-Comté, dont le siège est hébergé dans les locaux du CHU ; et enfin le centre de ressources biologiques (CRB), où l’on congèle des souches d'intérêt dans une visée sanitaire mais aussi de recherche, car ses collections peuvent ensuite être mises à disposition des chercheurs.
Quelles sont les principales missions de ce service ?
Mise en place de mesures de prévention des transmissions au sein des unités de soins, dépistage des bactéries multi-résistantes, contrôles environnementaux… Nos missions gravitent toutes autour de la gestion du risque infectieux, essentiellement à l’hôpital mais aussi parfois à l’extérieur. Nous apportons ainsi une expertise, au niveau régional, sur le typage des bactéries et l’identification des mécanismes de résistance. Bien que nous ayons surtout travaillé, ces deux dernières années, à la gestion de la crise sanitaire, nous retrouvons progressivement un rythme plus « classique » et réinvestissons nos missions habituelles, la prévention des infections et plus particulièrement celles liées aux bactéries multi-résistantes, qui représente une thématique forte au sein de notre structure.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la période 2020-2022 ?
Ces mois ont été particulièrement complexes, mais nous avons réussi à gérer la crise. Notre CHU étant implanté dans l’Est de la France, nous avons été touchés très précocement et très durement par la pandémie. Les premiers cas y avaient été enregistrés dès début mars, alors que nous manquions de masques chirurgicaux. Les premiers temps, en mars et avril 2020, notre service s’était essentiellement mobilisé pour parer à l’urgence : restructuration de certaines unités de soins, fermeture d’autres, mise en place des procédures pour les équipements de protection individuelle (EPI), gestion des distributions… Nous avons, fort heureusement, pu compter sur toutes nos équipes, mais aussi sur le soutien d’autres professionnels. Les formateurs infirmiers de l’IFSI, par exemple, nous ont offert leur appui. De cette période, je garde le souvenir d’une « ruche » : tout le monde courrait partout, la situation était très stressante, mais aussi intéressante et constructive. Pendant ces deux premiers mois, tout était possible. Mais cela n’a pas duré, et les choses sont progressivement revenues à la « normale ». La gestion du Covid-19 est aujourd’hui entrée en routine, mais des traces subsistent, notamment dans l’appropriation des mesures de prévention. Au CHU de Besançon, par exemple, la consommation de solutions hydro-alcooliques a augmenté. Si elle n’est plus aussi élevée qu’au plus fort de la crise sanitaire, elle demeure tout de même supérieure aux volumes enregistrés avant 2020.
Quelles thématiques traitez-vous actuellement au sein de votre service ?
En ce qui concerne l'activité hospitalière en tant que telle, notre attention reste pour l’essentiel centrée sur la prévention du risque infectieux, à travers la réalisation d’analyses, la rédaction de procédures et l’organisation d’actions de sensibilisation et de formation à destination des équipes médico-soignantes. Sur le champ de la recherche, nous travaillons principalement sur l’antibiorésistance et la diffusion des bactéries multi-résistantes, à l’intérieur mais aussi, comme je l’évoquais, à l’extérieur de l'hôpital. En analysant les rejets dans l’eau ou les égouts, par exemple, nous pouvons apprécier la diffusion de bactéries comme Pseudomonas aeruginosa ou Escherichia coli, et estimer donc leur diffusion dans l’environnement.
Justement, pourquoi s’intéresser particulièrement à l’environnement ?
Si les études environnementales portant sur la diffusion des bactéries multi-résistantes ont assez peu d’intérêt dans le domaine de l’hygiène pure – l’acquisition de ces bactéries à partir de l’environnement restant plutôt rare dans nos sociétés –, la thématique est en revanche très intéressante pour le microbiologiste que je suis. Les avancées de ces dernières années, en bio-informatique et pour le séquençage complet du génome bactérien, ont révolutionné l'approche de l'épidémiologie bactérienne, notamment sur ce champ des bactéries multi-résistantes. L’accès aux techniques de typage complet du génome est devenu primordial pour étudier les rejets environnementaux et leurs effets sur les bactéries. Mais aussi pour connaître leur devenir – est-ce qu’elles reviennent, est-ce qu’elles contaminent des patients ? –, comprendre les liens éventuels entre bactéries multi-résistantes d’origine humaine et animale, etc. Ce sont autant d’interrogations qui ont un impact réel sur notre santé, et plus globalement sur la santé de notre environnement, en écho au concept de « One Health » en développement depuis déjà plusieurs années.
Comment définiriez-vous le One Health ?
Il s’agit d’une vision globale sur la situation, qui va au-delà de l’approche traditionnelle anthropocentrée, pour considérer l’être humain comme faisant partie d’un tout, d’un continuum. C’est, du moins, ainsi que je peux résumer ma conception de cette démarche reliant l’Homme, le monde animal et l’environnement. Nous ne sommes pas seuls sur Terre, et devons donc considérer nos actions en lien avec l’environnement et les animaux, car elles y ont des effets. Le concept One Health se décline aujourd’hui en plusieurs thématiques, l’émergence de nouveaux virus, la contamination chimique de l’environnement, et donc l’antibiorésistance.
Pourriez-vous évoquer ici vos travaux ?
Cette thématique est aujourd’hui primordiale dans nos activités de recherche. Et, si le risque de transmission de bactéries multirésistantes à partir de l’animal ou l’environnement existe bel et bien dans nos sociétés, il est à rappeler que la majorité des acquisitions sont d’origine interhumaine. Dans les années 2005-2010, on a beaucoup alerté sur la consommation vétérinaire des antibiotiques, notamment dans les élevages. Elle est d’ailleurs, à l'échelle mondiale, plus élevée que chez l'humain, même si certains pays ont fait des efforts. En France, par exemple, elle a été quasiment divisée par deux en dix ans. Ce changement a été bénéfique, en premier lieu pour l’élevage lui-même. Néanmoins, bien que la surutilisation des antibiotiques chez l’animal demeure un facteur d’augmentation de l’antibiorésistance chez l’Homme, elle n’en constitue pas le paramètre principal.
Comment, alors, réduire la prévalence des contaminations aux bactéries multi-résistantes ?
La maîtrise des transmissions interhumaines reste un facteur clé dans cette lutte. Le respect des mesures d’hygiène, notamment, est primordial. Pour également limiter l’émergence des résistances bactériennes multi-résistantes, il nous faut coupler ces précautions avec une réduction des consommations d’antibiotiques chez l’Homme. Elles sont encore beaucoup trop élevées, en particulier en France. Les Pays-Bas, par exemple, en consomment trois fois moins ! Les antibiotiques sont des molécules incroyables, c'est certainement la classe thérapeutique ayant sauvé le plus d’années de vie sur Terre en 70 ans d’existence. Mais nous les avons beaucoup trop utilisés. La prise de conscience doit être collective pour pouvoir les préserver. Il serait également opportun d’adapter les formations médicales en ce sens…
Lors du prochain congrès de la SF2H, qui se déroulera fin mai à Lille, vous interviendrez autour du concept de One Health. Quelles thématiques comptez-vous aborder ?
Vous vous en doutez, j’évoquerai le thème One Health sous le prisme de l’antibiorésistance, pour mettre en lumière les liens entre les écosystèmes humains, environnementaux et animaux. De mon point de vue, il s’agit d’ « autoroutes » la plupart du temps séparées, mais où l’on trouve par endroits des bretelles, des passages. J’aborderai également la question des transmissions interhumaines qui, comme je le disais, restent le plus grand vecteur de diffusion, du moins dans les pays à haut niveau de revenus comme la France. Dans les pays les plus pauvres, la situation est différente. D’une manière très schématique, on pourrait dire que pour réduire effectivement la résistance aux antibiotiques, il faut construire des égouts et des stations d’épuration dans les pays les plus pauvres et diminuer la consommation d'antibiotiques dans les pays les plus riches. L'approche One Health a donc une vitesse et une géométrie variables en fonction de l'écosystème global.
Article publié dans l'édition de mai 2023 d'Hospitalia à lire ici.
Pr Xavier Bertrand : Celui-ci est assez important, puisqu’il compte une trentaine d’équivalents temps plein (ETP) répartis entre cinq unités fonctionnelles : l'équipe opérationnelle d'hygiène (EOH), qui intervient au quotidien pour la gestion du risque infectieux au sein de l’établissement ; le laboratoire d’analyses, qui pratique notamment les contrôles relatifs à l'environnement et aux bactéries multi-résistantes ; le laboratoire des eaux, spécialisé dans les analyses hydriques, principalement sur le risque de légionelles, mais aussi la potabilité ; le CPias Bourgogne Franche-Comté, dont le siège est hébergé dans les locaux du CHU ; et enfin le centre de ressources biologiques (CRB), où l’on congèle des souches d'intérêt dans une visée sanitaire mais aussi de recherche, car ses collections peuvent ensuite être mises à disposition des chercheurs.
Quelles sont les principales missions de ce service ?
Mise en place de mesures de prévention des transmissions au sein des unités de soins, dépistage des bactéries multi-résistantes, contrôles environnementaux… Nos missions gravitent toutes autour de la gestion du risque infectieux, essentiellement à l’hôpital mais aussi parfois à l’extérieur. Nous apportons ainsi une expertise, au niveau régional, sur le typage des bactéries et l’identification des mécanismes de résistance. Bien que nous ayons surtout travaillé, ces deux dernières années, à la gestion de la crise sanitaire, nous retrouvons progressivement un rythme plus « classique » et réinvestissons nos missions habituelles, la prévention des infections et plus particulièrement celles liées aux bactéries multi-résistantes, qui représente une thématique forte au sein de notre structure.
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur la période 2020-2022 ?
Ces mois ont été particulièrement complexes, mais nous avons réussi à gérer la crise. Notre CHU étant implanté dans l’Est de la France, nous avons été touchés très précocement et très durement par la pandémie. Les premiers cas y avaient été enregistrés dès début mars, alors que nous manquions de masques chirurgicaux. Les premiers temps, en mars et avril 2020, notre service s’était essentiellement mobilisé pour parer à l’urgence : restructuration de certaines unités de soins, fermeture d’autres, mise en place des procédures pour les équipements de protection individuelle (EPI), gestion des distributions… Nous avons, fort heureusement, pu compter sur toutes nos équipes, mais aussi sur le soutien d’autres professionnels. Les formateurs infirmiers de l’IFSI, par exemple, nous ont offert leur appui. De cette période, je garde le souvenir d’une « ruche » : tout le monde courrait partout, la situation était très stressante, mais aussi intéressante et constructive. Pendant ces deux premiers mois, tout était possible. Mais cela n’a pas duré, et les choses sont progressivement revenues à la « normale ». La gestion du Covid-19 est aujourd’hui entrée en routine, mais des traces subsistent, notamment dans l’appropriation des mesures de prévention. Au CHU de Besançon, par exemple, la consommation de solutions hydro-alcooliques a augmenté. Si elle n’est plus aussi élevée qu’au plus fort de la crise sanitaire, elle demeure tout de même supérieure aux volumes enregistrés avant 2020.
Quelles thématiques traitez-vous actuellement au sein de votre service ?
En ce qui concerne l'activité hospitalière en tant que telle, notre attention reste pour l’essentiel centrée sur la prévention du risque infectieux, à travers la réalisation d’analyses, la rédaction de procédures et l’organisation d’actions de sensibilisation et de formation à destination des équipes médico-soignantes. Sur le champ de la recherche, nous travaillons principalement sur l’antibiorésistance et la diffusion des bactéries multi-résistantes, à l’intérieur mais aussi, comme je l’évoquais, à l’extérieur de l'hôpital. En analysant les rejets dans l’eau ou les égouts, par exemple, nous pouvons apprécier la diffusion de bactéries comme Pseudomonas aeruginosa ou Escherichia coli, et estimer donc leur diffusion dans l’environnement.
Justement, pourquoi s’intéresser particulièrement à l’environnement ?
Si les études environnementales portant sur la diffusion des bactéries multi-résistantes ont assez peu d’intérêt dans le domaine de l’hygiène pure – l’acquisition de ces bactéries à partir de l’environnement restant plutôt rare dans nos sociétés –, la thématique est en revanche très intéressante pour le microbiologiste que je suis. Les avancées de ces dernières années, en bio-informatique et pour le séquençage complet du génome bactérien, ont révolutionné l'approche de l'épidémiologie bactérienne, notamment sur ce champ des bactéries multi-résistantes. L’accès aux techniques de typage complet du génome est devenu primordial pour étudier les rejets environnementaux et leurs effets sur les bactéries. Mais aussi pour connaître leur devenir – est-ce qu’elles reviennent, est-ce qu’elles contaminent des patients ? –, comprendre les liens éventuels entre bactéries multi-résistantes d’origine humaine et animale, etc. Ce sont autant d’interrogations qui ont un impact réel sur notre santé, et plus globalement sur la santé de notre environnement, en écho au concept de « One Health » en développement depuis déjà plusieurs années.
Comment définiriez-vous le One Health ?
Il s’agit d’une vision globale sur la situation, qui va au-delà de l’approche traditionnelle anthropocentrée, pour considérer l’être humain comme faisant partie d’un tout, d’un continuum. C’est, du moins, ainsi que je peux résumer ma conception de cette démarche reliant l’Homme, le monde animal et l’environnement. Nous ne sommes pas seuls sur Terre, et devons donc considérer nos actions en lien avec l’environnement et les animaux, car elles y ont des effets. Le concept One Health se décline aujourd’hui en plusieurs thématiques, l’émergence de nouveaux virus, la contamination chimique de l’environnement, et donc l’antibiorésistance.
Pourriez-vous évoquer ici vos travaux ?
Cette thématique est aujourd’hui primordiale dans nos activités de recherche. Et, si le risque de transmission de bactéries multirésistantes à partir de l’animal ou l’environnement existe bel et bien dans nos sociétés, il est à rappeler que la majorité des acquisitions sont d’origine interhumaine. Dans les années 2005-2010, on a beaucoup alerté sur la consommation vétérinaire des antibiotiques, notamment dans les élevages. Elle est d’ailleurs, à l'échelle mondiale, plus élevée que chez l'humain, même si certains pays ont fait des efforts. En France, par exemple, elle a été quasiment divisée par deux en dix ans. Ce changement a été bénéfique, en premier lieu pour l’élevage lui-même. Néanmoins, bien que la surutilisation des antibiotiques chez l’animal demeure un facteur d’augmentation de l’antibiorésistance chez l’Homme, elle n’en constitue pas le paramètre principal.
Comment, alors, réduire la prévalence des contaminations aux bactéries multi-résistantes ?
La maîtrise des transmissions interhumaines reste un facteur clé dans cette lutte. Le respect des mesures d’hygiène, notamment, est primordial. Pour également limiter l’émergence des résistances bactériennes multi-résistantes, il nous faut coupler ces précautions avec une réduction des consommations d’antibiotiques chez l’Homme. Elles sont encore beaucoup trop élevées, en particulier en France. Les Pays-Bas, par exemple, en consomment trois fois moins ! Les antibiotiques sont des molécules incroyables, c'est certainement la classe thérapeutique ayant sauvé le plus d’années de vie sur Terre en 70 ans d’existence. Mais nous les avons beaucoup trop utilisés. La prise de conscience doit être collective pour pouvoir les préserver. Il serait également opportun d’adapter les formations médicales en ce sens…
Lors du prochain congrès de la SF2H, qui se déroulera fin mai à Lille, vous interviendrez autour du concept de One Health. Quelles thématiques comptez-vous aborder ?
Vous vous en doutez, j’évoquerai le thème One Health sous le prisme de l’antibiorésistance, pour mettre en lumière les liens entre les écosystèmes humains, environnementaux et animaux. De mon point de vue, il s’agit d’ « autoroutes » la plupart du temps séparées, mais où l’on trouve par endroits des bretelles, des passages. J’aborderai également la question des transmissions interhumaines qui, comme je le disais, restent le plus grand vecteur de diffusion, du moins dans les pays à haut niveau de revenus comme la France. Dans les pays les plus pauvres, la situation est différente. D’une manière très schématique, on pourrait dire que pour réduire effectivement la résistance aux antibiotiques, il faut construire des égouts et des stations d’épuration dans les pays les plus pauvres et diminuer la consommation d'antibiotiques dans les pays les plus riches. L'approche One Health a donc une vitesse et une géométrie variables en fonction de l'écosystème global.
Article publié dans l'édition de mai 2023 d'Hospitalia à lire ici.